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Général Manuel Alvarez : « Pour remercier la France, j’ai voulu m’engager dans les armées le plus tôt possible »



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Entré à 15 ans dans l’armée de l’Air comme soldat de 2e classe, Manuel Alvarez vient de la quitter avec 5 étoiles sur ses épaulettes. Retour sur le parcours inspirant de cet homme né espagnol, arrivé au plus haut niveau grâce à l’école de la République, à la formation militaire et à ce qu’il appelle l’« escalier social ».


Né dans la région la plus pauvre de l’Espagne franquiste, Manuel Alvarez est devenu orphelin de père à l’âge de deux ans. Cinq ans plus tard, sa mère se remariait et ils arrivaient dans le sud-ouest de la France. Le jeune Manuel ne parlait pas un mot de français, et ni sa mère, ni son beau-père ne connaissaient grand-chose au système scolaire de leur pays d’accueil.


Un peu plus d’un demi-siècle plus tard, le 1er juillet dernier, le général d’armée aérienne Manuel Alvarez, premier général d’armée aérienne issu du corps des officiers mécaniciens, faisait son adieu aux armes dans la cour d’honneur de l’hôtel des Invalides sous la présidence du ministre des Armées, Sébastien Lecornu, et en présence notamment du chef d’état-major des armées et du chef d’état-major de l’armée de l’Air et de l’Espace.


Terminant sa longue carrière au sein de cette armée comptant 40 000 aviateurs et aviatrices, le général Alvarez en était l’un des trois seuls généraux 5 étoiles, avec son chef d’état-major, Jérôme Bellanger, et le chef d’état-major particulier du président de la République, Fabien Mandon (nommé depuis chef d’état-major des armées).


Dans son discours, le ministre a loué le parcours de Manuel Alvarez, qui quittait la vie militaire en tant qu’inspecteur général des armées, commençant par ces mots très forts :


« Dans cette cour des Invalides où la République honore les plus valeureux de ses soldats, le temps, les régimes et les hommes passent, et la mémoire demeure. Avant vous, et depuis plus de trois siècles, se succèdent des femmes et des hommes de toutes origines unis par le choix de servir les armes de la France, parfois jusqu’au sacrifice suprême. À cette longue lignée de grands serviteurs de la nation, vous appartenez désormais, mon général.


Comme vous, ils n’étaient pas tous des Français d’origine. Comme vous, ils sont devenus des Français de destin. Et à vous, aujourd’hui, au terme de 45 années de service, la France exprime sa profonde reconnaissance. »


Pour l’IHEDN, dont il est auditeur de la session nationale (2013-2014), le général Alvarez revient sur sa carrière et sur les spécificités de la formation et des ressources humaines des armées, lui qui y a tour à tour appris, enseigné, commandé ou exercé les fonctions de DRH de l’armée de l’Air et de l’Espace (AAE).


QUAND VOUS VOUS ÊTES ENGAGÉ EN 1980, AVIEZ-VOUS LA VOCATION DE MÉCANICIEN, DE MILITAIRE OU LES DEUX ?

Arrivé en France à l’âge de 7 ans, je demeure très reconnaissant envers la France, et d’abord vis-à-vis de l’école de la République qui m’a pris sous son aile. Alors que je ne parlais pas un mot de français le jour de la rentrée en CE1, des institutrices formidables m’ont concocté un programme individualisé : je commençais ma journée en allant en classe de CP pour apprendre à lire le français, puis je retournais en CE1 après la récréation. Et mes parents se sont chargés de m’inculquer les valeurs pour réussir : travail, goût de l’effort, excellence… Par exemple, à la fin du deuxième trimestre de CE2 et alors que j’avais les meilleures notes de toute la fratrie, j’ai été le seul puni car dans l’appréciation générale de mon bulletin scolaire était marqué : « Excellentes notes mais peut encore mieux faire. »


Alors que je grandissais, je réalisais les opportunités que m’offrait mon pays d’accueil par rapport à l’Espagne franquiste que nous avions fuie. Pour remercier la France, j’ai décidé de m’engager le plus tôt possible dans les armées. J’étais attiré par l’aéronautique et je faisais des maquettes d’avions ! Je suis donc entré à 15 ans comme apprenti mécanicien à l’École d’enseignement technique de l’armée de l’Air de Saintes. Et j’ai pu bénéficier tout de suite de l’escalier social proposé par l’AAE. Parmi les 600 apprentis qui intégraient l’école tous les ans, un concours permettait à 15 dont j’ai été de passer en section d’instruction promotionnelle (SIP), ainsi qu’on désignait la seconde scientifique. Sans cela, j’aurais sans doute fait une carrière très honorable de sous-officier.


Ensuite, j’ai pu rejoindre l’École des pupilles de l’Air de Grenoble pour passer mon bac, puis suivre une prépa aux grandes écoles, avec le grade de caporal. Et à 20 ans, j’ai intégré l’École de l’Air de Salon-de-Provence, le seul parmi les 15 de la SIP de Saintes.


AVANT DE SORTIR MAJOR DE L’ÉCOLE DE L’AIR, AVEZ-VOUS RESSENTI DU MÉPRIS DE LA PART DE VOS CAMARADES, EU ÉGARD À VOTRE PARCOURS ?

Non, aucune condescendance, peut-être plutôt un peu d’admiration, du type « lui est arpète [NDLR : apprenti] et a déjà franchi quelques marches de l’escalier que nous n’avons pas eu à franchir ». Mais je n’évoquais pas la partie « intégration » de ma vie : cet aspect « étranger qui s’intègre », je n’en parlais jamais. J’étais un jeune officier parmi d’autres, porté comme tous par la devise de l’école, que l’on doit à l’aviateur Guynemer : « Tant qu’on n’a pas tout donné, on n’a rien donné. »


PAR LA SUITE, VOUS AVEZ ENSEIGNÉ PUIS COMMANDÉ PLUSIEURS ÉCOLES : QUELLE EST LA SPÉCIFICITÉ DE LA FORMATION DANS L’ARMÉE ?

Sa véritable spécificité, sa vraie richesse, est d’être multidimensionnelle. D’abord, la formation militaire, avec ses valeurs : respect, intégrité, sens du service, excellence, qu’on résume par l’acronyme RISE. En anglais, le verbe « rise » signifie « s’élever », et ce n’est pas un hasard. Cette dimension militaire inclut aussi, bien sûr, l’éventualité de donner la mort, et de la subir si nécessaire.


Ensuite, la formation académique : pour moi, ça a été les télécoms [Manuel Alvarez est aussi ingénieur de Télécom Paris, NDLR], pour d’autres la maintenance aéronautique, par exemple.


Et enfin, la formation de citoyen : à l’armée, on vous donne à la fois du savoir, du savoir-faire et du savoir-être, alors que dans les écoles d’ingénieurs civils, on insiste surtout sur l’académique, qu’il soit théorique ou pratique. Et chez nous, la formation d’ingénieur est au même niveau que celle de l’officier et du futur chef.


J’ajouterais, pour citer le général de Gaulle, que « la véritable école du commandement est la culture générale ».


EN TANT QU’ANCIEN DRH DE L’AAE, DIRIEZ-VOUS QUE LA FORMATION CONSTITUE LE CIMENT DE L’ESCALIER SOCIAL ?

Tout à fait, à un point extraordinaire. C’est pourquoi l’escalier social est devenu un pilier de ma politique de ressources humaines. J’ai souhaité élargir les opportunités, renforcer la possibilité pour les militaires du rang de passer sous-officiers, et pour ces derniers de devenir officiers.


Quand je suis devenu DRH en septembre 2020, seuls 200 à 250 militaires du rang de l’armée de l’Air et de l’Espace passaient sous-officiers chaque année. Quand j’ai quitté cette fonction, en août 2024, nous étions à 450-500. Pour devenir officier, j’ai aussi donné plus de place à l’École de l’Air interne en début de carrière et augmenté le recrutement « rang » qui intervient plus tard autour de 40 ans.


Quelle que soit votre place dans le dispositif, vous avez des opportunités. Mais pour les saisir, il faut passer des concours, travailler, le mériter : votre passé, votre dossier, doit montrer que vous avez les capacités à exercer des responsabilités supérieures. Les opportunités existent dans l’armée, c’est statutaire. En tant que DRH, le statut vous donne le cadre, et à l’intérieur de ce cadre, vous avez des opportunités pour gérer le « flux » en fonction du budget. C’est ainsi qu’il y a des officiers sortis d’école, ou issus du rang. J’ai aussi mis en place une « passerelle reconnaissance » pour les militaires du rang en fin de service : après 23 ans, un caporal-chef peut désormais passer sergent.


POUR QUELLE RAISON ÊTES-VOUS DEVENU LE PREMIER GÉNÉRAL 5 ÉTOILES ISSU DU CORPS DES MÉCANICIENS ?

Historiquement, les chefs de l’armée de l’Air sont des pilotes, ça s’explique par leur expérience opérationnelle, ce sont eux les combattants.


Quand je suis devenu colonel en 2006, nous étions encore classés par corps. Depuis le général Mercier [chef d’état-major de l’armée de l’Air de 2012 à 2015, NDLR], les colonels sont évalués tous ensemble : on ne regarde plus seulement le métier, mais surtout la valeur intrinsèque de l’individu. C’est ainsi que des mécanos ont commandé des bases aériennes accueillant des escadrons de chasse ou de transport jadis réservées à des pilotes. Après tout, le mot général cousine avec « généraliste » ! Depuis une dizaine d’années, c’est plus ouvert, de plus en plus de non-pilotes atteignent des postes de commandement.


Qu’un mécano soit 5 étoiles devenait possible. C’est tombé sur moi car j’étais déjà 4 étoiles en tant que DRHAAE et le ministre des Armées m’a choisi pour être son inspecteur général des armées – Air et Espace.


QUE DIRIEZ-VOUS À UN JEUNE QUI HÉSITERAIT À S’ENGAGER DANS L’ARMÉE ?

Que l’armée lui offrira une vie trépidante, qui lui demandera un engagement fort, mais pour une mission qui a du sens ! Je leur conseillerai trois principes que je me suis toujours appliqués et qui ne m’ont pas mal réussi. Tout d’abord l’humilité, car on a toujours quelque chose à apprendre, et on travaille avant tout pour le collectif. Puis la confiance : il faut qu’ils aient confiance en eux car l’armée les formera tout au long de leur carrière pour qu’ils puissent toujours faire face. Et ils doivent faire confiance à l’institution. Et enfin l’enthousiasme : car ils sont jeunes et l’avenir de l’armée repose sur eux. L’enthousiasme est aussi l’état d’esprit qui permet de progresser.


Pour moi, chaque étape de ma carrière était du bonus, j’étais déjà content d’en être arrivé là. Et de fil en aiguille, je suis arrivé tout en haut. J’ai fait l’élongation maximale de l’escalier social : d’aviateur 2e classe à général 5 étoiles. Mais j’ai beaucoup bossé ! Et j’ai aussi eu de la chance.


Et le 24 juillet dernier, la boucle était bouclée quand j’ai eu l’honneur de présider la cérémonie de remise des prix à l’école de Saintes. J’ai fini là où tout a commencé il y a 45 ans. C’était ma dernière activité et elle s’est terminée par une haie d’honneur faite par ces jeunes arpètes. C’était très émouvant de quitter définitivement la scène comme ça et je les remercie sincèrement.




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