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L’autorité. Un exemple français.

À la Légion étrangère, l’autorité ne fait pas débat. Les légionnaires la conjuguent au présent. Elle est, ou la Légion n’est pas. Point barre. Pas question ici de donner du séné en quête de rhubarbe à quelque polémiste en mal d’arguments. Des faits, simplement. Et des hommes fiers et heureux de servir la France, et d'obéir à ses lois.

 Un article de la rubrique "Libres pensées".


Rien n’est si contagieux que l’exemple


Autorité. Pouvoir légalement conféré à une personne, à un groupe humain, de régir l'ensemble ou une partie du corps social, de régler les affaires publiques. Voilà pour le Petit Larousse. Ses auteurs ont puisé dans l’article 1er de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 qui rappelle que les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune.

À la Légion étrangère, l’autorité est le lien intime qui unit le chef à ses subordonnés, et vice-versa. Voici l’axiome de base sur lequel s’aligne la Légion, un contrat synallagmatique par lequel des hommes acceptent d’aliéner leur liberté, en tout ou partie, pour un temps et un lieu donné, au profit d’un autre, investi du pouvoir d’autorité par la loi, qui assume d’exercer son pouvoir de décision avec détermination dans un cadre légal et universel : l’utilité commune.

On le voit, le principe d’autorité repose sur trois éléments : un chef investi du pouvoir d’autorité, des subordonnés qui le reconnaissent, et un cadre structurant dans lequel se réalise un projet commun.

Pour exercer l’autorité, le chef (d’équipe, de corps, d’État) doit être déterminé, courageux, exemplaire. Chaque matin, il doit vouloir décider, comme ce caporal de semaine qui ordonne de se lever à des camarades rentrés du terrain au milieu de la nuit. L’autorité n’est pas un droit, c’est un devoir. Et il en faut du courage pour affronter le grand costaud mal réveillé qui exhibe des biceps menaçants, le petit rusé qui feint sous ses draps de ne rien avoir entendu, le pas-méchant qui attend de voir comment les autres vont réagir. Le chef tient la position coûte que coûte et ce n’est pas simple, surtout quand il porte à peine une ficelle de plus sur la poitrine, et encore, pas depuis longtemps. Mais notre caporal s’en sortira, n’ayez crainte. Il promènera sans ostentation son allure impeccable dans les chambrées, malgré les yeux qui lui piquent. Car, j’ai oublié de vous dire, lui aussi est rentré du terrain en pleine nuit. Il s’est levé une heure avant les autres, s’est rasé, a servi un café à son sergent ; il a brossé son képi blanc et soigné les plis de sa chemise préparée la veille. Parce que rien n’est si contagieux que l’exemple.


Attaché à tes chefs, la discipline est ta force.


Les subordonnés doivent aussi disposer de qualités chevillées au corps. Je pense à l’intelligence de situation, à la modestie et à la fidélité. Toutes ces valeurs, dont les légionnaires ne revendiquent pas l’exclusivité, s’agrègent dans un style de commandement différent[1] à la Légion, et se superposent à celles du chef. Et ça tombe bien car, ne l’oublions pas, selon la tournure que prendra le fracas des combats, chacun pourra se retrouver chef plus vite qu’il ne le pense[2]. Il faut être intelligent et modeste pour obéir, pour comprendre — et admettre — que tel homme, soit-il un jeune officier frais émoulu, est formé pour commander. Je me revois arriver à Dikhil, quand la 13ème Demi-brigade de Légion étrangère traînait encore ses semelles de vent à Djibouti. L’adjudant O, un Mancunien baraqué, quinze ans de Légion, un placard long comme le bras, me présente le détachement Iskoutir que je viens de lui prendre. C’est un beau soldat. Il ne bronche pas. Je suis le lieutenant. Désormais le chef, c’est moi. Je me revois quelques jours plus tard empêtré dans la plaine d’As Eyla. Deux partis indigènes se disputent un troupeau de bœufs venus d’Éthiopie. On frôle l’émeute. Je ne maîtrise pas les us et coutumes locaux. L’adjudant O. s’approche. « Je sais comment faire, mon lieutenant ». Je l'écoute. Je prends conseil, puis je manœuvre, et en cinq sec l’affaire est dans le sac. Il revient vers moi : « À vos ordres, mon lieutenant ». Dans les deux cas, nous avons eu l’intelligence et la modestie de mettre notre fierté sous notre mouchoir, dans le seul intérêt d’une chose qui compte à la Légion : la mission.

J’ai retenu la leçon, merci mon adjudant, et pourtant cela ne suffit pas. Les subordonnés doivent encore accepter sans broncher la discipline, cette aptitude à obéir d’emblée à condition d’avoir confiance en son chef, en ses camarades et en la mission, cette force toujours arrosée d’une bonne dose d’amour. Ce n’est pas moi qui l’affirme, mais les légionnaires de la Phalange magnifique quand ils se rendent d’un bloc à la cérémonie des couleurs régimentaires. Il faut aimer sa famille restée au pays pour obéir. Il faut aimer son binôme, son métier, son chef, son unité ; son arme, son véhicule, son uniforme ; le drapeau pour lequel on meurt, parfois. Ce qui conduit tout droit à la fidélité : en sa propre parole, en son chef, en ses subordonnés, en son passé, en son présent, en ses Anciens qui ont tracé la route et ont transmis le fanion. Bref, en la Légion.


Legio Patria Nostra.


À la Légion la vie est dure, mais la gamelle est sûre. Désolé, major, je l’ai dit[3]. Il faut encore un cadre solide pour permettre à toutes ces belles valeurs de s’exprimer, un cadre dans lequel chaque légionnaire évolue, pétri de ce qui fait Légion : le caractère sacré de la mission, la rigueur dans l’exécution, la solidarité et le culte du souvenir. Les subordonnés obéissent au chef et le chef ordonne aux subordonnés car tous cultivent des valeurs communes au sein d’une famille soudée. Le contrat social cher à Jean-Jacques Rousseau. Personne ne fait rien pour soi, mais pour les autres.

À la Légion, l’obéissance ne se négocie pas. Nul n’est obligé de venir s’y engager, de la choisir en sortie d’école. Mais celui qui se présente au poste de sécurité du quartier Vienot sait à quoi s’attendre. En échange de sa discipline, et peut-être de sa vie, il obtiendra un toit solide, des vêtements neufs, des repas chauds tous les jours, une formation professionnelle, la fierté de servir dans un corps exceptionnel et, s’il respecte le Code d’honneur, l’armada d’une solidarité inébranlable s’il lui arrive quelque chose ou quand il quittera les rangs de l’active, pour lui ou sa petite famille[4].

À la Légion, tout se paye. Toutes les règles sont connues d’avance par tout le monde et tout acte s’assume irrémédiablement. Tout succès doit être récompensé, toute faute doit être sanctionnée. Il s’agit simplement de rendre à chacun ce qui lui est dû, certes, mais surtout, de ne pas oublier de le rendre. Tout chef doit avoir la volonté, le temps et le courage (tiens, nous y sommes encore !) de rédiger une lettre de félicitation ou d’engager une procédure de sanction. C’est parfois long, parfois fastidieux, mais l’autorité et la discipline reposent sur ces bases. Le récompensé verra son nom gravé sur un tableau d’honneur. Le sanctionné verra sa peine effacée, car dans une société dure mais juste, une fois payé, c’est oublié, balayé, comme le dit la chanson.


Partout où le principe d’autorité est battu en brèche, le ciment qui unit les hommes fait défaut, le chef peine à commander faute de courage et de détermination, les subordonnés contestent, faute d’amour et de confiance. Pour commander et obéir, il faut à la fois un contrat social défini autour de valeurs structurantes, parfois exigeantes, parfois imposées, mais toujours protectrices et justes, des hommes qui y adhèrent parce qu’ils y croient, et une figure de chef opiniâtre et désintéressée.

Ainsi, chaque lundi matin, les légionnaires allant célébrer nos trois couleurs avec leur chef proclament à pleins poumons : « C’est une chose d’importance, la discipline à la Légion. L’amour du chef, l’obéissance, sont de plus pure tradition ».


Lieutenant-colonel (rc) Bruno CARPENTIER / DRP-EMLE


Écrivain et chroniqueur, Bruno Carpentier a servi dans l’Infanterie pendant 26 ans. Il a été chef de section (94e RI, 126e RI, 13e DBLE), commandant d’unité (1er RE) et officier supérieur à la Légion étrangère. 23e rédacteur en chef du magazine Képi blanc, il a servi au 3e REI (officier en charge de l’instruction du combat de l’infanterie en milieu équatorial), au 1er RE (chef du Bureau Instruction) et à l'état-major de la Légion étrangère (SCEM). Il a participé à des opérations en Nouvelle-Calédonie, en ex-Yougoslavie, en Afrique, en Amérique du Sud et en Afghanistan. Il a quitté le service actif en 2013.


[1] Le mot m’a été soufflé par un major du 1er Étranger. « Il ne faut pas dire que la vie est plus exigeante qu’ailleurs à la Légion. Elle est différente ». Comprenez : « qu’il n’y a aucune forfanterie à appliquer les règles de façon plus ou moins stricte. Elles s’adaptent aux hommes que l’on commande et au cadre dans lequel on les exerce ». Belle leçon de commandement.

[2] À la Légion, tous les sous-officiers commencent leur carrière en qualité de légionnaire (2ème classe), et grimpent l’escalier social au mérite.

[3] Voir note 1.

[4] L’organisation de la solidarité est une des quatre missions déléguées au général commandant la Légion étrangère.


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